J’aimerais vous écrire, c’est le matin. Un matin pluvieux. Mais rien ne presse. La pluie est légère, les rosiers s’en abreuvent, la terre est humide mais ce ne sont pas des pleurs, la terre ne pleure pas quand le ciel est chargé de joie mêlée de larmes.

J’aimerais vous écrire.

Dehors, bien loin, mais proche de moi, un chêne. Les branches tordues, mais si solides que même le temps n’oserait lui apporter son courrier. Je m’en charge et dépose à ses pieds les cartes postales d’un temps passé, quand les mots s’alignaient sans faute de goût. Et mon chêne – j’aime l’appeler par son prénom - est toujours assoupi dans l’hiver. Bien éveillé pourtant. Mais le temps de laisser bourdonner son feuillage peut patienter. Les chênes, ils arrivent en derniers au printemps pour rester en derniers à l’automne, attendre que tout le monde soit couché, éreinté, ils restent là, longtemps à veiller les abrutis, les morts et le reste de la nature à souffrir du déchet des hommes. Ils n’éteindront la lumière, les feuilles tombées, qu’une fois tout le monde couché, à l’abri de nos cris saignants les sèves de ce qui nous aide à respirer. Vous aimez, je sais, gente Dame, la nature, vous me comprenez donc. Même si mes mots sont réduits de moitié, comme engoncés à l’idée de vous écrire. Une peur retenue, le port de l’angoisse.

J’aimerais pourtant vous écrire, même, si j’osais, à l’encre de Chine. Là où le noir vous va si bien sur vos toiles grises, le blanc en ressort, à venir puis s’éloigner de l’œil, comme remonté de creux lointains qui s’en étonnent que l’être, dites-vous, soit un mystère. Vous lynchez la toile de vérités enfouies à l’allure de vos tons et mots étalés, comme soulagée. J’aimerais vous y voir rôder du côté de Rodez, vous en avez l’audace et les toiles pour en faire une belle histoire une fois le port de l’angoisse achevé sur les bords de l’Aveyron.

J’aimerais jeter l’ancre dans ce port que je m’invente. It’s a hard rain dites-vous alors que dehors la pluie redouble. La pluie aussi semble une couche d’acrylique suspendue au ciel, déplié pour une exposition téméraire intemporelle. Il suffit de mettre le nez à la fenêtre pour y reconnaître votre partition, d’abord des gouttes à pas feutrés, avant le doute quand tonne un nuage rond, la gueule ouverte, tout contre un autre nuage, l’envahissant et, dans un large bâillement, l’un et l’autre se rentrent dans la gorge pour une abstraction musicale que déjà vous aviez déclinée avant le déluge.

J’aimerais vous écrire quand vous cherchez ainsi la genèse de ce monde trempé de trop d’euphories, vous le réduisez en cendres, éparses mais construites, vous le réduisez à l’essentiel, accaparant le futur des écrits dans un journal sans date, retenus et grillagés.

Ici, dans ma campagne, j’ai bien connu le fou de Verdun, vous, là-haut, en lettres capitales, vous en peignez le silence.

J’aime votre silence quand il coiffe la guerre, il ne me fait pas peur.

Vous peignez le ciel pour qu’il nous dise tout de la vie. Moi, je ne pourrais écrire qu’une scène de chasse, quand le perdreau trouve refuge dans un nuage pour passer au travers des fusils qui tireront à vue sans rien y voir. Ah ! Quand même, la chasse, l’homme a bien changé, ne trouvez-vous pas ?

Mais c’est grâce à vous que Blowing in the wind est ressorti des ondes pour que vous rendiez, avec cette force légèreté qui vous singularise, son bleu à l’horizon. C’est cela l’espoir et la gloire. Que, avec le temps pressé, cessent les naufragés dans nos rues pavées de bonnes intentions percluses.

C’est une belle série, « Avec le temps ». J’en accrocherais tout autour pour tourner de la fin à l’origine et, après l’avoir descendu, remonter le nouveau du temps. Un voyage de jour et de nuit ou, nul de vous ou de moi, ne serait pareil. Mais le noir est, je crois, la lumière et la vie s’est se renouveler, pas s’accomplir. Vous m’accompagneriez ?

Je ne sais si vous accepteriez. L’hiver ici est un peu pareil à votre toile. Mais il est partout pareil l’hiver, il gèle les doigts et seul le thé bouillant que l’un porte à l’autre dans son atelier réchauffe les cœurs pour qu’ils ne se lâchent plus. Un cœur plus un cœur, ce serait un beau diptyque, comme si deux êtres balayés par l’imprévu d’un tango se retrouveraient embarqués dans une seule unité de temps.

Et puis vient l’été, ce jaune vif qu’il est si difficile d’apprivoiser. Il faut passer outre la joie de la couleur, aller dans l’au-delà du chant brûlant mais rauque, dépasser les bornes posées par tant d’amateurs se contentant d’un rendu propre et esthète pour un village en fête. Ils y trinquent sur la place et sous les platanes à la santé de l’été au bal du 14 juillet, et les voilà partis pour une danse l’accordéon en bandoulière et le bar chahuté. Chauffe Marcel ! Chauffe ! Ca marche ! J’ai peint cet après-midi l’été sur un bout de carton.

Mais vous, l’été, c’est votre vie à l’anglaise, à l’américaine, qui ressurgit. Et à la France, à ces racines qui ont voyagé, qui se sont endurcies à force d’assoupissements éveillés. Vous l’été, c’est tout en un, un rendu du jaune d’outre terre, un jaune sans plus de vent ou de poussière, un temps fiévreux que vous posez de côté le cheval de trait, le sillon, vous le connaissez assez. Le pinceau à la main, ce jaune vient du ventre. Et le ventre sait que la pluie peut bien tomber, le jour est d’or, un or précieux quand bat le cœur.

Vous peignez les paysages qui vous habitent. Et personne, pas moi surtout, ne pourra en altérer la beauté. Elle vous appartient. Et puis, seulement, vous l’offrez au monde. Ce monde auquel en ce matin pluvieux je suis si heureux d’appartenir.

Martin

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